Nous ne connaissons pas plus la date précise de naissance, vers 1156-1169, de Guillaume « le Breton armorique », que celle de sa mort, postérieure à 1226. Nous ignorons également le lieu où il naquit, – assurément en Bretagne, vraisemblablement dans le diocèse de Léon, probablement dans la paroisse de Plabennec, – de même que celui où il mourut, – sans doute à Senlis ou peut-être à Saint-Pol-de-Léon. Entretemps, le personnage a beaucoup voyagé et résidé loin de son pays natal, comme nous le verrons en nous efforçant de reconstituer sa carrière. Son œuvre de chroniqueur-poète est connue, mais, sauf le cas de quelques travaux spécifiques, au travers d’éditions et de traductions anciennes qui ne favorisent pas l’étude de ces textes.

L’attention portée à la production hagiographique bretonne de son époque, permet, sous le régime de l’hypothèse, de lui attribuer la composition de plusieurs vitae de saints régionaux et de révéler ainsi un pan ignoré de son œuvre.

samedi 6 avril 2024

Guillaume le Breton, évêque de Léon ?

 Nous efforçant de dresser le catalogue des évêques de Léon de la fin du XIe au milieu du XIIIe siècle, il nous est apparu qu’entre Jean et son successeur supposé Derrien, un intervalle d’une quinzaine d’années (1218-1233) permettait d’envisager la possibilité qu’un autre prélat ait occupé le siège épiscopal durant cette période.

« Cette possibilité doit faire l’objet d’une évaluation d’autant plus serrée que la période considérée, outre qu’elle recouvre partiellement celle du conflit entre Pierre de Dreux et l’ensemble des évêques bretons, y compris celui de Léon, mais à l’exception notable de Rainaud de Quimper[1], – voit la réalisation de  la première véritable enquête de canonisation diligentée en Bretagne par le Saint-Siège[2] : il s’agissait d’examiner si la vie et les miracles de Maurice de Carnoët (mort en 1191) justifiaient que le personnage fût porté sur les autels. Or, c’est à l’évêque de Léon, associé à l’abbé de Landévennec, que le pape, par une bulle en date du 4 décembre 1224, avait confié le soin de procéder à cette enquête, laquelle, à sa réception, parut au souverain pontife entachée de vices de forme. Honorius III chargea alors les évêques de Quimper et de Tréguier, ainsi que l’abbé de Quimperlé de procéder à de nouvelles investigations (1er septembre 1225)[3]. Il est probable que le résultat se révéla cette fois encore décevant, car la cause de Maurice n’a jamais abouti et les procès-verbaux des enquêtes à son sujet n’ont même pas été conservés ; mais le matériau recueilli dans le cadre de ces procédures a fait à deux reprises l’objet d’une exploitation hagiographique contemporaine : les textes en question ont été tardivement publiés par un néo-bénédictin, Dom François Plaine, dont l’édition laisse malheureusement beaucoup à désirer[4].

 

Existe-t-il un seul argument qui permet d’envisager que le siège de Léon a pu être occupé entre les épiscopats de Jean et de Derrien par un autre prélat ? La réponse figure dans une note tardive, peut-être des années 1460, qui rapporte que « celui qui écrivit les Gestes du roi Philippe était archidiacre de Léon, de Plabennec, ensuite évêque »[5] : le prélat en question ne serait donc rien de moins que le chapelain de Philippe Auguste, son chroniqueur et le chantre de ses exploits, Guillaume, connu à la cour royale sous le surnom ethnique, autorevendiqué, de « le Breton ». Quelle est la valeur de ces informations ? Nous pensons qu’elles ont de grandes chances d’être exactes, car les traditions dont elles se font l’écho sont exemptes de véritables enjeux :  à qui importait en effet que Guillaume fût originaire de Plabennec et que sa carrière ecclésiastique l’eût amené à occuper successivement les fonctions archidiaconale et épiscopale de Léon ? Au reste, l’appartenance de Guillaume au chapitre de Léon n’est-elle pas chose assurée et acquise dès avant 1213 et sans doute dès la fin du XIIe siècle[6] ? Dans les deux années suivant la mort de Philippe Auguste, c’est-à-dire jusqu’en 1225, Guillaume aurait peaufiné sa Philippide, long poème composé à la gloire du roi, et la plupart des auteurs ont indiqué qu’il dut mourir avant la fin de 1226, au prétexte notamment qu’il n’a pas rendu compte de la disparition précoce de Louis VIII, arrivée le 8 novembre de cette année-là[7] ; mais le véritable culte qu’il rendait au vainqueur de Bouvines n'avait peut-être pas passé au fils de ce dernier, ou, plus simplement encore, l’éventuel monument élevé à la mémoire de Louis VIII a peut-être été perdu, comme c’est le cas de la Karlotide, autre ouvrage du chroniqueur-poète[8]. On a aussi imaginé Guillaume coulant une retraite paisible en faisant des vers à Senlis, où, en tant que chanoine de la cathédrale du lieu, il jouissait là aussi d’une confortable prébende ; mais nous n’avons pas, postérieurement à 1219[9], de traces d’une éventuelle résidence senlisienne de notre personnage dans les années 1220 : on admettra donc, sous le régime de l’hypothèse, que Guillaume a pu occuper le siège épiscopal de Léon à cette époque, tout en mettant la dernière main à ses travaux littéraires, ce dont il conviendra de tirer les conséquences lorsqu’il s’agira de traiter à nouveaux frais de cet auteur et de son œuvre[10] ».



[1] Les péripéties de ce conflit, généralisé à partir de 1227 et toujours prêt à renaître durant les périodes d’apaisement, transparaissent dans de nombreux actes du Saint-Siège ; elles ont été rapportées avec beaucoup d’érudition par Barthélemy Pocquet du Haut-Jussé, Les Papes et les Ducs de Bretagne. Essai sur les rapports du Saint-Siège avec un État, Paris, 1928 ; 2e édition, Spézet, 2000, p. 67-92.

[2] Le cas antérieur de Gurloes, abbé de Quimperlé, s’était vu retoquer par le pape Urbain II (1088-1099).

[3] André Vauchez, « De la bulle Etsi frigescente à la décrétale Venerabili : l’histoire du procès de canonisation de saint Maurice de Carnoët (+1191) d’après les registres du Vatican », Caroline Bourlet et Annie Dufour (éd.), L’écrit dans la société médiévale. Divers aspects de sa pratique du XIe au XVe siècle. Textes en hommage à Lucie Fossier, Paris, 1993, p. 39-45.

[4] François (Bède) Plaine, « Duplex vita inedita S. Mauritii, abbatis Carnoetensis ordinis Cisterciensis (1114-1191) », Studien und Mittheilungen aus dem Benedicter und dem Cistercienser Orden, 7e année (1886), p. 157-164 et 375-393, respectivement BHL 5766  et BHL 5765. Il est à noter que ce dernier texte est assorti  d’un prologue métrique dont l’auteur se présente comme un compagnon du saint depuis l’époque de leur jeunesse, ce qui constitue de notre point de vue un obstacle majeur en termes de chronologie à ce que le prologue en question soit sorti de la même plume que le texte BHL 5765 proprement dit, dont l’essentiel de la matière est manifestement extrait de l’enquête de 1225. En ce qui concerne le texte BHL 5766, voir notre notule « Philippe Auguste, l’hagiographe de Maurice de Carnoët et Guillaume le Breton (version corrigée et augmentée) », Maître Guillaume chanoine de Senlis et de Léon (mars 2021), https://www.academia.edu/45503819.

[5] Ms Rennes, ADIV, 1 F 1003, p. 187 : Nota quod iste qui scripsit Gesta Regis Philippi erat archidiaconus Leonensis, de Ploebannos, postea episcopus.

[6] H.-F. Delaborde, Étude sur la chronique en prose de Guillaume le Breton, Paris, 1881 (BEFAR, 22), p. 26-27.

[7] Ibidem, p. 24.

[8] Ibid., p. 23.

[9] Ibid., p. 25.

[10] A.-Y. Bourgès, Portrait du chroniqueur-poète en hagiographe : l’oeuvre inconnue de Guillaume le Breton (travail en cours).