L’examen d’une anecdote miraculaire rapportée dans la vita de Maurice de Carnoët [BHL 5766] nous amène aux constations suivantes :
« Le style de l’hagiographe est fluide, mais sa langue reste soutenue, sinon élégante[1] : nous avons manifestement affaire à un auteur à part entière, pour qui l’écriture constitue sans doute un exercice fréquent et peut-être également une véritable passion. Son choix de donner un développement conséquent à l’anecdote en question, – dont le caractère tragi-comique, propre à capter l’attention du lecteur (ou de l’auditeur), s’avère transcendé par la dimension miraculaire du récit, – démontre aussi un incontestable savoir-faire d’écrivain ; mais il y a plus encore : sa méticulosité, quand il s’agit notamment d’inscrire l’existence terrestre de son héros dans le temps où celui-ci avait vécu, témoigne de sa préoccupation d’établir le contexte chronologique des faits rapportés, comme l’exige le sous-genre hagiobiographique (…)[2]. En ce sens, notre auteur a produit un ouvrage qui, par sa forme, s’apparente plus à des gesta qu’à une vita[3] ; gesta au petit pied, du reste, destinés avant tout à souligner la modestie dont avait été empreinte la vie du fondateur de Carnoët : comme qui dirait le modèle d’une sainteté de la quotidienneté, éloignée des excès de certains réformateurs du temps de l’hagiographe. Nous avons déjà souligné le « souci du détail qui montre chez cet écrivain une disposition d’esprit particulière, commune aux historiens et aux juristes »[4] ; il nous paraît possible en conséquence, comme nous l’avions suggéré à cette occasion, que l’ouvrage en question fasse partie de la production hagiographique de Guillaume le Breton, dont nous ambitionnons de dresser l’inventaire : en effet, la vita de Maurice présente, compte tenu de ses spécificités, une incontestable parenté de vocabulaire et d’expression avec les ouvrages de cet auteur, ainsi qu’avec les vitae que nous lui avons déjà attribuées. Si notre hypothèse était retenue, il faudrait évidemment chercher à connaître les circonstances dans lesquelles Guillaume le Breton s’était intéressé au cas d’un novus sanctus, son contemporain : toute une partie de la légende de Goëznou se déroule à Quimperlé, où ce saint léonard de l’époque héroïque est venu mourir[5], ce qui constitue peut-être un premier point de contact. Une autre piste, en rapport direct avec l’enquête de canonisation de 1225 et qui pourrait de surcroît apporter un éclairage nouveau sur la dernière étape de l’existence de l’écrivain, paraît plus prometteuse encore ; mais elle n’a pas encore fait l’objet de toutes les vérifications nécessaires : nous y reviendrons prochainement ».
[1] Voir par exemple, dans le passage dont il est question l’adverbe incunctanter, l’adjectif inoffensus, les participes valefaciens et oneratus, les substantifs gurges, interstitium, jactura, spiramen, ainsi que les verbes impertio, impetro, laetifico, stringo ; au reste, ce relevé très subjectif ne prétend pas à l’exhaustivité.
[2] L’ouvrage, consacré à un saint dont l’historicité est assurée, entre en effet dans la catégorie des hagiobiographies qui, de notre point de vue, correspond à un sous-genre littéraire, distinct de l’hagiographie proprement dite : voir à ce sujet André-Yves Bourgès, Le dossier littéraire de saint Goëznou et la controverse sur la datation de la vita sancti Goeznovei, Morlaix, 2020, p. 11-13
[3] Cette distinction essentielle entre les deux genres a fait l’objet d’une mise au point par Elisabeth Carpentier, dans l’introduction de la récente édition de Rigord, Histoire de Philippe Auguste, Paris, 2006, p. 74.
[4] Voir en ligne http://www.atelierguillaumelebreton.fr/2021/03/philippe-auguste-guillaume-hagiographe.html.
[5] A.-Y. Bourgès, Le dossier littéraire de saint Goëznou…, p. 207-213.
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